L’Interview de Delphine et Muriel Coulin

Share

17 filles, le premier long-métrage de Delphine et Muriel Coulin, interrogeait la maternité. Voir du pays, leur second film, étudie comment des femmes bercées à l’égalité se retrouvent à devoir gérer la violence masculine. Elles s’en expliquent à Cine-Woman.

« Pour nous, la place de la femme est centrale »

En deux films, Delphine et Muriel Coulin ont interrogé à leur manière la féminité et la place des femmes dans notre société. Elles ne pouvaient que prendre la parole dans Cine-Woman. Allez-voir leur film Voir du pays qui est formidable et lisez donc ce qu’elles ont à dire. Leur réflexion est posée, intelligente dans la droite ligne de ce que Cine-Woman défend.

Delphine et Muriel Coulin
Muriel et Delphine Coulin

Delphine et Muriel Coulin, pourquoi vous êtes-vous intéressés à ces femmes qui reviennent de faire la guerre ?

Delphine Coulin : Quand on est de Lorient, on voit et on fréquente des militaires. Au lycée, dans mon groupe d’amies, 2 sur 5 étaient filles de militaires. J’avais aussi un copain que son père a forcé à s’engager dans l’armée, ce qui m’avait beaucoup choquée. Il y est toujours, son père n’a donc pas forcément eu tort ! Ma soeur Muriel et moi nous venons d’une famille plutôt anti-militariste, mais l’armée ne nous est pas étrangère. Pour d’autres, ce serait un monde opaque. Moi, qui en suis à la fois très loin et très proche, je suis dans la position idéale pour écrire à ce sujet.

Justement, en quoi l’armée vous attirait-elle ?

DC : A vrai dire, je voulais écrire sur les femmes et la violence, celle dont elles peuvent faire preuve et /ou être victime et sur l’amitié féminine. Par déduction, j’en suis arrivée à la guerre et je me suis demandée s’il était différent de faire la guerre avec un corps de femmeLe déclic est probablement venu quand j’ai appris que le sas existait. C’est un décor tellement cinématographique.

Pourtant, vous avez commencé par écrire un livre qui porte le même titre, Voir du pays. Etait-ce avec l’idée de l’adapter en film ?

DC : Pas du tout. De la même façon que je l’ai écrit en résidence d’écriture à Rhodes sans imaginer que nous allions tourner là-bas. Jusque-là, écrire des livres et tourner des films étaient pour moi deux métiers, deux moments très différents.

Interview de Delphine et Muriel Coulin
A Rhodes où Voir du pays à été tourné

Et comment deux sœurs arrivent-elles à s’intéresser aux mêmes sujets ?

Muriel Coulin : Quand on aborde le prochain film, on part dans tous les sens, dans une sorte de brainstorming souvent riche et vague. Là, nous avions commencé à développer une idée de scénario sur une femme qui rentrait traumatisée de la guerre. Or, notre projet n’avançait pas. Finalement, comme nous avions adapté avec Eric Toledano et Olivier Nakache, Samba, le livre précédent de Delphine, on s’est décidé à adapter son manuscrit.

Voyez-vous une filiation directe entre 17 filles votre précédent film et Voir du pays ?

MC : Dans 17 filles, le frère de la leadeuse du groupe était un militaire. Quand il apprend que sa sœur veut tomber enceinte pour s’en sortir, il lui dit : « nous c’est pareil. On a cru à un truc, on s’est engagé et puis finalement on a eu des désillusions ». Le thème était déjà posé…

Votre film semble presque vécu. Avez-vous beaucoup enquêté pour paraître si proche de la vérité ?

DC : Dans un deuxième temps seulement. Pour parler de l’amitié féminine, de la trahison, du machisme, de la désillusion… je n’ai pas besoin d’enquêter. Une fois le manuscrit écrit, j’ai quand même rencontré des militaires pour préciser des choses qui me sont trop étrangères : les grades ou les armes par exemple… ou encore les descriptions du terrain en Afghanistan, la géographie, les saisons… Mes personnages sont d’abord des humains et ensuite des militaires.

 

Interview de Delphine et Muriel Coulin
De retour d’Afghanistan, le bataillon de Voir du pays

MC : Pour le film, on a rencontré des psy de l’armée, des reporters de guerre, des hauts gradés, des soldats du rang, un peu tout le monde pour être au plus juste.

Vous avez même recrutés d’anciens soldats pour jouer, non ?

MC : Oui, cinq anciens soldats dont Sylvain Loreau, qui a le rôle le plus développé. Il a servi comme démineur en Afghanistan et est désormais traumatisé de guerre. Le minimum à attendre de notre part, c’est que tout soit archi-crédible. Qu’on ne puisse jamais dire, elles n’y connaissent rien ! Aucun détail n’a été laissé au hasard. Le scénario a été relu par des militaires. Sur le tournage, les 5 soldats étaient à disposition pour rectifier le port d’un ceinturon… Et tous nos comédiens ont suivi une formation d’une semaine avec une coach qui avait vécu le sas une douzaine de fois.

DC : C’est peut-être dû à notre passé de documentariste mais on ne veut rien laisser au hasard. Toutes les deux, nous sommes même allées passer une semaine dans l’hôtel chypriote qui accueille les sas de l’armée française. Tout est faux mais tout pourrait être vrai.

Finalement, avez-vous compris pour quoi une femme s’engage dans l’armée ?

MC : Elles ont les mêmes motivations que les hommes : voir du pays, avoir un métier sûr en période de crise, être dans une recherche d’absolu, de quelque chose qui les dépasse, avoir un destin ou plus futilement de passer le permis poids lourds. Comme elles ont été élevées dans l’idée qu’elles sont égales aux garçons, elles s’engagent au même titre qu’eux. Ce n’est qu’ensuite qu’elles s’aperçoivent qu’à un moment, elles risquent de se retrouver face à un homme qui ne pensent pas comme ça. Ce qui prouve qu’il y a encore des combats à mener.

Sauf que là-bas, elles étaient égales.

DC : Là-bas, oui, puisqu’elles faisaient partie d’un collectif. Mais, quand elles reviennent au civil, elles retrouvent petit à petit leur individualité. On insiste beaucoup là-dessus dans le film. Elles retirent leur treillis, mettent des habits civils, retrouvent leurs propres sensations, leurs propres envies d’aller danser quand l’autre n’a pas envie, d’aller se baigner… Peu à peu, elles se ré-approprient leur corps et leur vie d’individu.

Interview de Delphine et Muriel Coulin
Ariane Labed (Aurore) et Soko (Marine), les deux héroïnes de Voir du pays

Du coup, elles se retrouvent femme et non plus militaire. Les hommes les regardent à nouveau comme des femmes et non plus cachées sous l’uniforme et 40 kg de matériel mais en survêtement, puis en maillot de bain, puis en petite robe parce qu’il fait chaud et qu’elles ont envie de se retrouver comme des vacancières.

La fonction gomme-t-elle la différence de sexe ?

MC : Bien sûr ! On nous a raconté l’histoire de ce couple de militaires que tout le monde savait marié et qui, entre eux, s’appelaient sur le terrain avec leur grade. L’inverse aurait été curieux, nous a-t-on dit. Ce qui prouve que seule la fonction compte.

De ce point de vue, l’armée est égalitariste ?

DC : C’est moins simple que ça, car les militaires ne sont ni en treillis, ni à la guerre tout le temps.

Auriez-vous pu traiter des abus sexuels au sein de l’armée ?

DC : Plus globalement ? Non, je ne pense pas. Nous, nous parlons de filles qui pensent vivre dans un système égalitaire, qui se rendent compte que ce n’est pas le cas et qui vont faire les frais d’une violence dont personne n’arrive à se débarrasser. C’est ça, notre histoire. Ca se passe dans l’armée parce que ça saute plus aux yeux et que c’est un milieu éminemment masculin, où la virilité est la valeur première. Donc la situation de la femme dans un contexte machiste crève les yeux. Mais, nous aurions pu choisir de traiter ce sujet au sein d’un parti politique ou d’une entreprise. Une femme sur 5 déclare avoir été victime de harcèlement sexuel au travail. Il n’y a donc pas que l’armée qui pose problème.

Et dans le cinéma ?

DC : Oui, le cinéma est machiste. Même si la présence de femmes à la tête d’Arte ou du CNC prouve que l’on a fait des progrès. J’ai travaillé à la TV, dans l’édition, des univers très masculins, où je n’ai jamais eu à souffrir du machisme. En revanche, ça m’est arrivée dans le cinéma, sur notre premier film notamment.

Interview de Delphine et Muriel Coulin
La fonction et l’uniforme gomment la différence de sexe

Vous sentez-vous plus fortes à deux ?

Delphine et Muriel Coulin : Ah non ! Ca agaçe encore plus !

Et tendez-vous la main aux femmes ?

MC : Oui, surtout sur le deuxième film. De l’équipe du premier, on a dégagé tous ceux qui avaient été machos. A vrai dire, l’idéal est quand l’équipe est à parité. La question ne pose pas et les problèmes se règlent vite.

Y-a-t-il d’autres aspects de la féminité que vous comptez aborder dans vos prochains projets ?

MC : Nous n’avons pas encore réfléchi à ce qu’on va faire après, mais pour nous la question de la femme est centrale. Nous n’avons pas fini d’explorer le sujet et cela nous intéresse de continuer à filmer le corps des femmes, à définir ce qui fait une femme, en quoi nous sommes différentes et où sont nos forces.

DC : Moi, je ne cherche pas délibérément à parler des femmes. Mais, ça me tombe dessus à chaque fois. Un sujet me met en colère, et à l’intérieur de ces questions qui m’intéressent, il y a celle de la femme qui m’importe. Toujours. Ca fait partie de ma vie !

Propos recueillis par Véronique Le Bris

Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin a été sélectionné à Un certain regard au Festival de Cannes 2016 et reçu le prix du scénario.

© Richard-Schroeder, Archipel 35

(Visité 366 fois, 1 visite(s) aujourd'hui)
Share